mercredi 6 février 2008


mardi 5 février 2008

Calligraphie chinoise: la marque du pouvoir



La mythologie chinoise nous rapporte que Cang Jie, devin de l'Empereur jaune ou Fuxi, premier des trois Augustes aurait inventé les signes d'écriture. Tout au long de l'histoire de l'empire du milieu, l'art de tracer les caractères avec technique et énergie a été confirmé comme une discipline majeur.

Sur le continent chinois, la calligraphie est l'emblème de la classe dirigeante et de l'autorité. Elle marque la permanence de la tradition dans la Chine moderne. L'avènement de la République populaire de Chine a marqué le passage de la calligraphie de la sphère privée à la sphère publique. Dans la Chine classique, les calligraphies impériales étaient l'objet d'une diffusion restreinte. Elles étaient destinées aux collections du Palais ou offertes à certains hauts dignitaires.

Détournée de sa fonction première, la calligraphie est devenue un instrument de propagande à destination des masses de la nouvelle Chine. Le monde politique s'est accaparé l'expression calligraphique enlevant ainsi toute autorité à l'élite des calligraphes. De fait, il en résulte un rapport ambigu et confus entre le noble art et l'écriture ordinaire. Ceci a été facilité par l'abolition des limites entre l'espace privé et l'espace public. Au travers de l'alphabétisation, de nombreux chinois se sont essayés aux plaisirs de la calligraphie agrémentés de reconnaissance sociale et d'appartenance à un milieu culturel reconnu.

Dans les sphères du pouvoir de la Chine moderne, la calligraphie a été adaptée pour transmettre des messages codés à travers les couches politiques. L'un des innovateurs fut Sun Yatsen utilisant des slogans pour mieux préciser son message politique. Ainsi, la calligraphie a contribué à légitimer certains dirigeants politiques, et leur succès a fait des émules. Mao Zedong a effectivement utilisé sa calligraphie si caractéristique pour mettre en valeur ses réalisations et pour magnifier le culte de sa personne en le rendant moins dépendant du Parti. En revanche, son successeur Hua Guofeng s'est ridiculisé en voulant, à l'image de Mao, se construire un culte de la personnalité.

Le rôle traditionnel de la calligraphie est celui d'une échappatoire à un pouvoir restreint. Seul Mao a été capable de feindre de s'échapper, mais il l'a fait de manière publique, en diffusant sa calligraphie dans une subtile résistance à la nation. A un moment clé de la révolution culturelle, Mao ne communiquait qu'au travers de slogans calligraphiés. Pour les autres, la seule issue fut de raccrocher définitivement le pinceau. Par-delà les réformes, Deng Xiaoping a su renforcer son autorité politique à travers le pays en diffusant ses inscriptions par le canal de la télévision.

Au-delà des individus, ce qui apparaît le plus important est l'utilisation de la calligraphie dans d'innombrables petits rituels qui dépeignent l'ensemble de la bureaucratie communiste, sous l'éclat de l'autorité suprême. Au sein de l'appareil du Parti, les rituels calligraphiques sont adaptés pour servir de repères dans un système où l'autorité est ténue. Ils indiquent subtilement les parcours au sein du pouvoir en envoyant des signaux. Dans ce contexte, faire preuve de culture est à la fois une source importante de pouvoir et un signal de ses métamorphoses.

En résumé, la calligraphie est un outil de communication de masse des dirigeants vers leurs adeptes, en matière d'éducation, d'idéologie et de propagande, en reliant ainsi les nouvelles élites chinoises aux individus. A l'occasion de cérémonies, l'inscription calligraphique est un moyen d'exprimer publiquement le patronage d'un dirigeant et la loyauté de celui à qui elle est adressée.

Malgré la destruction de l'ordre social impérial, l'aspect mystique de la calligraphie perdure dans la Chine actuelle. D'hier ou d'aujourd'hui, le destin de la calligraphie est d'être la pratique artistique de l'élite.

lundi 4 février 2008

A la recherche du Vaste Bonheur perdu



Dernièrement, j'ai relu certaines pages de La démone bleue, roman de Liu Xinwu subtilement traduit par Roger Darrobers, fin connaisseur du vieux Pékin. Lors de ma résidence à l'université Tsinghua, ce dernier m'avait donné quelques clés pour décrypter cette capitale en mutation rapide. Je vous livre ici quelques extraits de ce merveilleux roman. Avis aux amateurs.


« Le Temple du Vaste Bonheur avait beau se trouver à proximité de la maison, ils n'avaient que rarement le loisir de s'y promener. Une des passions de mon père en dehors de son travail consistait à étudier l'histoire des monuments de Pékin. […] Je l'avais souvent entendu dire que la salle consacrée au Bouddha Vairocana, se trouvait le plus grand et le plus plafond à caisson orné, non seulement de la Chine, mais du monde. Qu'entend-on par plafond à caisson orné ? Il s'agit d'une structure utilisée dans certains plafonds propres à l'architecture palatiale chinoise qui, vue d'en bas, présente l'aspect d'un puits inversé. L'assemblage, entièrement en bois, de ce « puits suspendu » était d'une ingéniosité prodigieuse. Le cœur était souvent décoré par un dragon lové sculpté, dont la bouche semblait cracher une énorme perle. J'ignore sur quels documents se fondait mon père; selon ses dires, des spécialistes avaient montré que la charpente en bois du temple du Vaste Bonheur était plus remarquable encore par son assemblage et son ornementation que celles des plafonds similaires que l'on observe à la Cité interdite dans la salle de la Nourriture de l'esprit, ou dans la salle du Sacrifice aux récoltes du temple du Ciel. La perle géante suspendue en son centre, brillant comme la nuit, était en outre d'une valeur inestimable ! Dans la salle consacrée à Vaicorana, précisa-t-il, on trouve également sur les côtés les statues des Huit dragons célestes, d'une extrême rareté, qui en constituent un des joyaux. […] » pp. 35-37

« J'étais retourné sur les lieux occupés autrefois par le temple du Vaste Bonheur, transformé en un magasin ultra-moderne, baptisé le Building du Vaste Bonheur. […] Je m'étais renseigné pour savoir ce qu'étaient devenues les merveilles contenues autrefois dans le temple, comme le plafond encaissé de la salle du Vaicorana, pièce architecturale unique au monde. Il m'a été répondu que tout ce qui avait pu servir à construire des abris souterrains pendant la Révolution culturelle avait été utilisé pour « creuser des galeries ». On jugeait en ce temps que c'était comme « transformer en trésor matériel de récupération », de sorte que « l'ancien puisse servir au présent ». Quant aux poutres et aux solives de la charpente, on raconte qu'on avait voulu les utiliser comme madriers pour étayer les galeries souterraines, mais qu'on avait eu beau tenter de les disloquer par tous les moyens, personne n'y était parvenu. On s'était finalement résolu à les couper à la hache pour en faire du bois destiné aux fours à briques, mais la hache n'avait réussi qu'à produire des étincelles, au point de casser avant que le bois ne fût coupé. Voilà pourquoi m'a confié un vieil ouvrier, on avait transporté la charpente du plafond à caisson pour l'entreposer au temple des Lamas. Je suis également allé m'informer au temple des Lamas. En une dizaine d'années, le temple avait plusieurs fois changé d'administration de tutelle, les gens interrogés ont tous été incapables de me répondre. Les restes de la charpente ne s'y trouvent apparemment plus. Où sont-ils passés ? […] Laissons le passé où il est. Laissons enfoui ce qui est enfoui. Oubli, cher ami, salut à toi ! Ouvre davantage encore les mailles de ton tamis. Je t'embrasse. » pp 72-73

Liu Xinwu, La démone bleue (Lanyecha, 1991 ed. Yanchan, 1997), traduction de Roger Darrobers, Bleu de Chine 2005. Texte 76 p., ouvrage 131 p.

Ancien rédacteur en chef de la revue "Littérature du Peuple", l'écrivain Liu Xinwu a signé de nombreux essais, nouvelles, romans, pièces de théâtre.
Roger Darrobers enseigne la langue et la civilisation chinoises à l'Université Paris X-Nanterre.

samedi 2 février 2008

Mon cher ennemi : de haine et de violence



L'écrivain Yang Zhengguang est une figure majeure du « post-racinisme ». Il a su montré le côté négatif des paysans contrairement à A Cheng ou Li Hangyu dont l'intention est d'idéaliser la vie et la morale des ruraux, héros collectifs d'une société agraire et traditionnelle. Le point commun de ses deux approches repose sur une incertitude face aux modes de vie actuelle. Si les écrivains comme A Cheng trouvent leurs soutiens spirituels dans un mode de vie rural condamné à disparaître sous l'effet de la modernisation urbaine et économique, par contre un auteur comme Yang Zhengguang pense qu'une racine destructrice propre au monde paysan serait à l'origine du malaise social de la Chine contemporaine. Mais cette distinction n'est pas exclusive.

Dans son oeuvre, Yang Zhengguang fait l'éloge des brigands, marginalisés et condamnés par la société, qui retrouvent l'énergie physique et spirituelle de l'homme « naturel », être de sensations puisant aux sources du taoïsme, castré par l'idéologie traditionnelle, représentée par le confucianisme, et moderne imposée par le parti communiste.

En ce qui concerne Mon cher ennemi, l'auteur dresse le décor d'une tragicomédie où se mêle l'humour et l'absurde. L'histoire commence par un adultère entre voisins alimentant les jeux de la vengeance et de la surenchére tels que prendre des amants infidèles sur le fait, se battre, pousser à la haine et au meurtre, faire tuer des chiens, exhumer des sépultures et finir par se transformer en arbre. La haine et la violence de Lao Dan, le vengeur perdent tout sens lorsqu'il jure qu'il va prendre racine sur les latrines de son ennemi intime. Cette tournure inattendue que prennent les évènements dévoile une profonde ironie au regard d'une tradition de violence de voisinage dans le monde rural chinois.


Yang Zhengguang n'est pas le premier à traiter ce thème. Dans Le soleil brille sur la rivière Sanggan, roman écrit par Ding Ling en 1949 et L'ouragan par Zhou Libo publié la même année, les auteurs racontaient déjà le déchaînement de la haine dans les campagnes chinoises. Récipiendaires du prix Staline, ces deux écrivains, parmi d'autres, écrirent plusieurs romans sur les changements sociaux et politiques survenus dans la Chine rurale pendant la période. Dans les romans sur la réforme agraire (1947-1952), il était impératif de montrer que les structures dirigeantes dans les villages avaient changées et que le paysage rural avait pris la forme d'un espace culturel – berceau de la nouvelle Chine. Jusqu'à la fin des années 70, de nombreux écrits ont eu pour objet la société rurale chinoise et présentait le village comme la représentation la plus authentique de la Chine socialiste.


Dans ces deux romans, la violence « rouge » et sa politique de la haine prônaient une méthode raisonnée pour résoudre le problème de la répartition des terres et des propriétés foncières. Ainsi, ce type de récit où la violence était perçue de manière positive, existait déjà dans le roman chinois. Cette situation a changé dès les années 80, Han Shaogong dans Pa pa pa décrivit les combats l'arme au poing dans les campagnes, et fut le premier à condamner la violence au travers de son récit. Le thème obscur de la haine est devenu plus tard l'élément central du « post-racinisme ». C'est également un aspect dominant du roman réaliste rural des années 90. Avec talent, Yang Zhengguang a su développer cette narration de la violence à partir de deux domaines : le roman tenant de la « littérature pure » et le cinéma référé à la « littérature populaire ».


Mon cher ennemi de Yang Zhengguang, traduit par Raymond Rocher et Chen Xiangrong, publié aux éditions Bleu de Chine, 2007.

vendredi 1 février 2008

Zhang Hanzhi : disparition d'une figure de la diplomatie chinoise



Le 26 janvier 2008, « Zhang Laoshi », comme aimait l'appeler le président Mao, est décédée à l'hôpital Chaoyang de Pékin, à l'âge de 73 ans.

Zhang Hanzhi était un visage qui reflètait le charme, une voix celle du professeur d'anglais puis de l'interprète du président Mao et une silhouette, synonyme d'élégance. Née à Shanghai en 1935, elle était la fille adoptive de Zhang Shizhao, juriste et haut fonctionnaire dans le gouvernement du Kuomintang.

En 1962, elle rencontra le grand timonier lors de la célébration de son 70eme anniversaire. Peu de temps après, le leader communiste lui demanda de lui donner sa première leçon d'anglais. Mais les intrigues politiques reprirent rapidement le dessus. Un dimanche de mai 1964, lorsque qu'elle arriva à Zhongnanhai pour dispenser son cours, Mao lui annonça que pour des raisons internes au Parti, il n'avait plus de temps à consacrer à l'apprentissage de l'anglais. La Révolution culturelle était en gestation.

Deux ans plus tard, la violence s'était répandue dans toutes les couches de la société. Les hauts fonctionnaires et les grands universitaires étaient devenus la cible d'humiliations publiques. Horrifiée par la tournure que prenaient les évènements, elle se décida à écrire une lettre à Mao, le suppliant de faire cesser les violences. Elle demanda également à le rencontrer, mais sa demande fut rejetée sous la forme d'une réponse sibylline.
= Le président a reçu votre lettre, mais estime que ce n'est pas le moment opportun pour vous voir. Il vous a laissé deux messages. Le premier est le suivant : « Vous devez affronter le monde et braver la tempête.» Le second est : « Si aujourd'hui vous avez du vin, enivrez-vous et ne vous inquiétez pas du lendemain ». =

Déçue et désorientée, elle chercha à trouver un sens à la Révolution culturelle. C'est alors qu'elle devint rapidement une cible. Les trois années suivantes furent un cauchemar. Elle traversa une période de frustration, devenue l'objet d'attaques personnelles, elle fut privée de liberté et classée dans la catégorie des révisionnistes et des espions à la solde de l'étranger.

Dans la tourmente, Mao l'aida elle et son père aux moments les plus critiques. En septembre 1966, lorsque la maison de son père fut mis à sac par les gardes rouges, Mao demanda au premier ministre Zhou Enlai de prendre des mesures de protection. En 1968 et 1969, lorsqu'elle informa Mao des persécutions dont ses amis et elle étaient l'objet, Mao ordonna à sa garde rapprochée de prendre en charge l'établissement où elle enseignait. Le moment était venu de mettre fin au chaos.

Ouvrière textile, Mao la recontacta en juin 1970. Il lui demanda de rejoindre l'Institut des Langues étrangères de Pékin afin de participer au lancement de la réforme du système éducatif. Selon Mao, la Chine avait également besoin de femmes diplomates, il lui demanda donc de rejoindre le corps diplomatique une fois la réforme de l'enseignement achevée.

A priori, l'attitude de libre-penseur de l'universitaire et la rectitude bureaucratique du Ministère des affaires étrangères chinois n'étaient pas destinées à faire bon ménage. Dans ses premiers pas de diplomate, Mme Zhang eut donc quelques difficultés d'adaptation.

Démoralisée par ses tâches quotidiennes, elle était prête à quitter le Ministère. Mais avec le soutien de Mao, elle resta en poste. Sa maîtrise de l'anglais l'a conduit à devenir l'un des meilleurs traducteurs de Chine, la menant à assurer l'interprétation lors des entretiens avec Henry Kissinger, et pour le président Nixon lors de sa visite en Chine en 1972. Ainsi, elle put jouer un rôle dans un grand nombre de réunions politiques de haut niveau qui contribuèrent à ouvrir la Chine au monde extérieur, en particulier avec les Etats-Unis.

En novembre 1971, elle fut membre de la délégation chinoise à l'ONU. C'est lors de ce voyage à New York qu'elle retint l'attention de Qiao Guanhua, le vice-ministre des Affaires étrangères. En 1973, elle scandalisa les milieux politiques à Pékin par son divorce avec Hong Junyan, économiste à l'Université de Pékin, et son mariage quelques mois plus tard avec Qiao Guanhua, qui devint ministre des Affaires étrangère de 1974 à 1976.
A la mort de Mao, Zhang Hanzhi fut placée en résidence surveillée. Période pendant laquelle on l'incita à se suicider. Tenace, elle fut libérée en 1980. Après la mort de son second mari en 1983, elle rédigea ses mémoires qui devinrent des best-sellers.