Le style de Ouyang Xun : de l'autoritarisme à la démocratie
Avez-vous déjà entendu parler de Ouyang Xun ? A moins que vous soyez un amateur de calligraphie, de stèles ou bien que vous ayez visité le Mémorial Tchang Kaï-chek à Taipei, le nom de ce lettré confucéen ne pourra vous interpeller .
Et pourtant, il est, bien malgré lui, à l'épicentre d'un micro-séisme qui agite la ville de Taipei depuis plusieurs années. Le président Chen Shui-bian, leader du Parti Démocrate Progressiste (DPP) est parti en croisade contre l'héritage de Tchang Kaï-chek. En imposant à la capitale taiwanaise de nouvelles mesures en terme de conservation du patrimoine, le gouvernement en place cherche à effacer toute trace tangible permettant de pérenniser la mémoire du Généralissime dans le centre urbain de Taipei.
Moins célèbre que la place Tiananmen, l'esplanade du Mémorial national Tchang Kaï-chek est un des sites les plus fréquentés de Taipei. Elle est bordée au nord et au sud par le Théâtre national et la Salle de concert nationale. Le monument érigé à la mémoire de l'ancien président de la République de Chine est situé à l'est sur l'axe central de l'esplanade dont l'entrée est marquée à l'ouest par une arche commémorative.
Fruit d'un concours remporté par le défunt architecte Yang Cho-cheng, l'ensemble architectural du Mémorial national Tchang Kaï-chek fut accessible au grand public au printemps 1980. Cet ensemble monumental comprend de nombreux éléments empruntés à l'architecture traditionnelle chinoise rappelant par certains aspects le Mausolée Sun Yat-sen à Nankin. 89 marches, âge de la mort de Tchang, réparties sur deux volées de marbre blanc conduisent à l'entrée du Mémorial octogonal dans lequel trône une statue en bronze de l'ancien leader.
Circonscrite par ce cadre architectural, l'esplanade est le lieu de nombreux rassemblements populaires. La place est le lieu où se tiennent les cérémonies officielles en l'honneur des dirigeants étrangers. La foule s'y rassemble aux moments des fêtes nationales ou à l'occasion de concerts en plein-air. En 1990, s'y déroula la grande manifestation étudiante dite du "Wild lily".
Jusqu'en décembre 2007, l'arche commémorative dédiée au généralissime était encore ornée de l'inscription « Grande centralité et parfaite rectitude » (大中至正 da zhong zhi zheng, 中正 étant le hao, nom correspondant au titre d'Etat de Tchang Kaï-chek). A la mort du leader du Kuomintang (KMT), les quatre caractères empruntés à la sentence du taoïste Wang Yangming (粹然大中至正之归矣 Cui ran da zhong zhi zheng zhi gui yi ) avaient été tracés dans le style particulier de Ouyang Xun par le calligraphe taïwanais Yang Jialin avant d'être plaqués au fronton de l'arche.
Le choix de la calligraphie d'Ouyang Xun fait référence à la dynastie Tang (618-907) sous laquelle il a exercé cet art suprême. Par tradition, il est considéré comme un des quatre grands maîtres vivant au début de cette glorieuse dynastie. Etudiant talentueux appartenant à une famille mandarinale, il brillait par sa connaissance des classiques. Après avoir étudié les styles des deux Wang et de Suo Jing, renommé pour ses traits semblables à la queue d'un scorpion, il créa son propre style à la fois sobre et élégant dont la puissance des traits et la composition méticuleuse recouvrèrent plusieurs stèles impériales de valeur exceptionnelle. Lettré érudit, il excella dans les styles régulier (kaishu) et semi-cursif (xingshu) et devint calligraphe à la cour.
L'Etat a, en effet, décidé de changer les noms de l'arche et du Mémorial, et la ville refusé toute intervention sur le monument. Des policiers ont été appelés par le gouvernement pour protéger les équipes chargées d'effectuer les changements sur la façade du monument, alors que d'autres policiers ont reçu la consigne de Taipei de les en empêcher.
Le 6 décembre 2007, le Mémorial fut fermer au public durant trois jours sur ordre du ministère de l'éducation afin de faciliter le remplacement de l'inscription apposée sur l'arche marquant l'entrée de l'esplanade. Deux jours plus tard, les caractères chinois saluant la mémoire de Tchang Kaï-chek étaient déposés.
Malgré les vives protestations de la mairie de Taipei, l'arche et le Mémorial ont été officiellement renommés. Ainsi, les quatre caractères自由廣場 (Ziyou Guangchang) accrochés sur l'arche commémorative forment aujourd'hui l'inscription "Esplanade de la liberté" et sont inspirés du style de Wang Xizhi, dont le calligraphie révérée quasi religieusement s'est transmise sous la forme d'un standard esthétique inégalé. Tandis que l'inscription en sept caractères 台灣民主紀念館 (Taiwan Minzhu Jinianguan) empruntée au style de Ouyang Xun et signifiant " Mémorial de la démocratie de Taiwan ", marque dorénavant le bâtiment principal.
Dans les jours et semaines qui suivirent les évènements démonstratifs s'enchaînèrent. Le jeudi 13 décembre, à l'occasion d'un spectacle nocturne organisé sur le thème des droits de l'homme, des projections ont animé les parois immaculées du monument. Depuis le 1er janvier 2008, dans le grand hall du Mémorial national de la démocratie de Taiwan, de multiples cerfs-volants symbolisant « le vent de la démocratie » virvoltent autour de la statue d'un Tchang Kaï-chek au sourire bienveillant. Cette dernière n'a cependant pas été placée sous une cage comme cela aurait été évoqué dans un projet initial. A ce propos, la question du déplacement de l'imposante statue en bronze du Généralissime fait toujours débat.
En terme d'opposition, il faut tout de même rappeler la déclaration faite en date du 6 décembre 2007 par Ma Ying-jeou, candidat du KMT à la présidentielle, signifiant que tout changement de nom serait rectifié si il remportait les élections de mars 2008. Après la lourde défaite du DPP à l'élection législative du 12 janvier, le Kuomingtang est à présent donné favori dans la course à la présidence. Si Ma Ying-jeou tient ses promesses les « quatres caractères » (大中至正 da zhong zhi zheng) devrait à nouveau s'inscrire au fronton de l'arche. Mais sous quelle calligraphie? La question reste ouverte.
Prochainement, nous essaierons de traiter de l'origine des tensions actuelles autour du Mémorial.